TRAFIC SORDIDE - Simon LEWIS

Simon Lewis, jeune auteur né au Pays de Galle, aborde un sujet plutôt oublié (sciemment ?) et peu médiatisé dans nos contrées européennes ; les filières et l’exploitation des migrants asiatiques. Avec pour toile de fond une Angleterre contemporaine, la « montagne d’or » (comme la prénomment les chinois) nous est retranscrite avec les yeux d’immigrés clandestins ou installés depuis de longues années. Tantôt effrayante, morne, désolante et hostile, elle n’apparaît que rarement douce pour la plupart des protagonistes qui n’en connaissent ni les mœurs, ni la langue, ni les us et coutumes.

Jian, inspecteur chinois désabusé par des années de service, balloté entre corruption, affairisme et pression politique, part précipitamment en Angleterre suite à l’appel alarmant de sa fille Wei Wei, partie étudier là-bas quelques mois auparavant. Le récit se focalise également sur Ding Ming et sa femme, venus en Europe par des passeurs afin de pouvoir travailler dur et retourner vivre en Chine une fois assez d’argent amassé. Le destin de ces deux personnages est inexorablement lié, une dépendance se créée, un fil ténu entre deux hommes prêt à rompre à chaque instant sous les coups de boutoir de la peur, du remord, de la souffrance et de la violence.

D’emblée on peut saluer le choix du sujet par son auteur. Au fil des pages on ressent l’horreur et l’indignation devant ce trafic ignominieux, traitant des vies humaines comme du simple bétail. Horrifié, de voir que homme, femme et enfant sont marchandisés, humiliés et utilisés selon le bon vouloir de leur patron. Indigné car le cœur de ce trafic est à mettre au compte de leurs compatriotes en amont et en aval de la chaîne, de leur départ de Chine jusqu’à leur arrivée sur la terre promise. D’autres sujets, intimement liés à l’immigration sont abordés, plus superficiellement, tel que le racisme, le communautarisme, la mafia et l’intégration difficile de la deuxième génération d’immigrés, écartelée entre deux mondes.

Le récit est rondement mené ; style sec et sans fioritures, paragraphes nombreux et courts. C’est assez enlevé sur le mode Dirty Harry au pays de la reine, et le tout se laisse lire. Sans plus. Alors quand la quatrième de couverture toujours nous vante un roman qui « lève le voile (…) sur l’exploitation des migrants, à l’abri des paisibles villages de la douce campagne anglaise », la découverte des fameux réseaux, de leurs pratiques et de leurs complices européens, on peut repasser.

Le sujet du dépaysement aurait pu être mieux abordé et donc nous immerger mieux dans cette histoire. Je ne peux pas dire que j'ai été déçue, j'ai lu ce livre très vite, car au final il se révèle très court. J'ai surtout une impression d'inachevé, ou plutôt que l'auteur est passé à côté d'un livre qui aurait pu être plus marquant que cela.

En lisant la quatrième de couverture, on apprend que Simon Lewis, pour son roman, s’est inspiré de deux faits divers qui firent grand bruit en leur temps. Quelques compléments d’information s’imposent. Le premier drame remonte à juin 2000, quand sont découverts dans un camion frigorifique débarquant à Douvres 58 Chinois (dont quatre femmes) morts asphyxiés. Deux seulement ont survécu à ce voyage au bout de l’enfer. Car tous étaient partis onze jours plus tôt de Chine, la plupart de la province de Fujian, pour démarrer un invraisemblable périple à travers l’Europe, bringuebalés par les sbires des réseaux mafieux à l’origine de leur trafic clandestin. Le drame connut un énorme retentissement. Un an plus tard, le passeur était condamné à 14 ans de prison, les deux ressortissants turcs responsables du réseau à 9 ans. Le deuxième faits divers intervient dans la baie de Morecambe (et non Morecombe comme indiqué), au nord-ouest de l’Angleterre. Cette baie est dangereuse à cause de la très rapide montée des eaux lors des marées. En février 2004, vingt trois personnes qui pêchaient des coques sur le site se font piéger et périssent noyés. Toutes les victimes sont chinoises. Des employés clandestins, originaires de la province de Fujian. Le drame révèle une nouvelle fois l’existence des réseaux organisés, aboutit à une nouvelle législation, et à la condamnation à 14 ans de prison pour les principaux protagonistes (trois Chinois et deux Anglais) du trafic.

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