LE DERNIER LAPON - Olivier TRUC
Livre découvert sur le site Feedboks qui présentait ce livre comme un polar époustouflant.
Je vais ajouter mes louanges à celles déjà lues ici et là sur les blogs. Je suis tombée instantanément sous le charme de ce polar nordique, écrit par un auteur français. Deux raisons à cela : l'intrigue qui est bien menée et m'a tenue en haleine sans temps mort. Et tout ce que j'ai appris sur la communauté sami et le dépeçage de la Laponie entre Suède, Norvège, Finlande et même Russie, dans le but bien sûr d'exploiter les richesses minières du territoire des éleveurs de rennes.
Le roman est trop touffu pour que j'en évoque toutes les facettes, je vais me limiter aux grandes lignes. L'histoire commence à Kautokeino, Laponie centrale, à la fin de la nuit polaire. Le soleil fait sa réapparition, 40 minutes le premier jour. Klemet travaille à la police des rennes et vient d'être rejoint par Nina, jeune policière du sud de la Suède, ignorant presque tout du grand nord. Un tambour de chaman vient d'être volé au musée local, or sa valeur est hautement symbolique. La plupart des tambours ont été détruits par les pasteurs protestants, très pressés de convertir la population et d'éradiquer leurs croyances ancestrales.
Presque aussitôt, un vieil éleveur au bout du rouleau est assassiné dans son gumpi (tente), les oreilles coupées et marquées comme on le fait pour les rennes, afin d'identifier leur propriétaire. Klemet et Nina vont avoir fort à faire pour découvrir s'il y a un lien entre les deux évènements et quel est sa nature.
L'enquête les mènera jusqu'en France, sur les traces d'une expédition de Paul-Emile Victor, juste avant la seconde guerre mondiale. Ils devront remonter l'histoire et se pencher sur l'exploitation minière de la Laponie et le changement de vie radical qu'il a entraîné chez les samis.
Ce qui fait l'attrait de ce roman, ce sont les personnages, dont deux me resteront particulièrement chers. Nina, la jeune policière qui, dans son ignorance, pose les questions que j'aurai posées moi-même et qui fait preuve de bon sens et de fermeté. Et Aslak, l'éleveur ancienne manière, qui va toujours à ski alors que tous les autres éleveurs utilisent des moto-neiges, Aslak dont la femme à moitié folle, hurle à intervalles réguliers.
Klemet, s'il a une connaissance parfaite du territoire, peut être balourd parfois. Il faut dire qu'il ne sait pas très bien ce qui lui reste de son héritage sami et que ce n'est pas facile pour lui de se situer au sein de la police "officielle". Certains considèrent la police des rennes comme folklorique et enragent de voir les droits des autochtones reconnus. Comme trop souvent, les colonisateurs se considèrent comme supérieurs et propriétaires des territoires qu'ils ont spoliés. Il y a aussi Berit, une vieille femme seule, qui en sait certainement bien plus qu'elle ne le dit ; un géologue français, dangereux prédateur ; l'oncle de Klemet, fin connaisseur des chants lapons, les joïks etc ...
Les descriptions des grands espaces, des courses dans la neige, du froid intense, du vent, sont magnifiques et très visuelles. J'ai adoré tout ce qui a trait aux anciennes coutumes et au chamanisme, le tout exposé sans lyrisme excessif. A souligner, une entrée en matière saisissante, qui mérite d'être relue à la fin du roman. Elle prend tout son relief.
Olivier Truc, journaliste, correspondant à Stockholm du journal Le Monde et du Point, se risque ainsi, à son tour, au polar ethnologique. Avec un beau succès ! Son roman a le charme un peu inquiétant des paysages qu'il met en scène, quand les immenses étendues désertiques disparaissent sous la neige et recèlent de multiples pièges. Le lecteur pénètre l'intimité d'une civilisation fascinante, assiste à la fin d'un monde, revient sur une expédition de Paul-Emile Victor en 1939 et même sur la mort d'un chaman, à la fin du XVIIe siècle, sur un bûcher dressé par un pasteur venu de Suède.
Olivier Truc montre les bouleversements contemporains, les luttes politiques entre autonomistes samis et partis d'extrême droite, les convoitises suscitées par les richesses minières du territoire lapon. Sans que jamais la fiction soit écrasée par l'érudition. Et l'on se dit, in fine, qu'on lirait volontiers la suite des aventures des policiers Klemet et Nina, comme on s'est attaché, des années durant, à celles de Joe Leaphorn et Jim Chee.
« Le Dernier Lapon » se lit comme un roman, se déguste comme une belle envolée, s'assimile comme une légende, se conserve comme une part de nous-mêmes oubliée.
Ce livre n'est pas un roman policier. C'est le témoignage d'une civilisation qui disparaît. C'est l'exploit d'Olivier TRUC que d'avoir su ainsi parler, exalter une contrée qui n'est pas la sienne et de la chanter presque comme un vrai lapon.
Bienvenu à Kautokeino : 3000 habitants pour 100 000 rennes
Complément :
Le Monde, 10 février 2011
Suède : Eleveurs de rennes contre propriétaires terriens
par Olivier TRUC
- Un Sami devant sa hutte
Le procès qui a démarré, lundi 7 février 2011, devant la Cour suprême de Suède, est déterminant pour l’avenir des Samis de Suède, éleveurs de rennes.
- Suède
Cent quatre propriétaires terriens de la commune de Nordmaling, au nord-est, ont porté plainte, en 1998, contre trois groupes d’éleveurs samis représentant près de cent vingt bergers. Selon ces agriculteurs et propriétaires forestiers, les milliers de rennes des éleveurs samis qui passent les mois d’hiver le long de la côte suédoise se nourrissent abondamment de leurs jeunes plants, causant d’importants dommages économiques. "On n’a pas eu d’autre choix que de porter plainte, explique Berth Hägglund, représentant des propriétaires. Les éleveurs samis ne sont venus dans notre région qu’après Tchernobyl, car en raison du taux élevé de radioactivité, ils ne pouvaient plus vendre leur viande. Il y a eu trop de rennes et ils ont dû trouver de nouveaux pâturages. C’est ainsi qu’ils sont arrivés chez nous." Les éleveurs samis affirment, au contraire, que depuis des générations leurs troupeaux paissent dans cette région. Ils invoquent donc le droit coutumier. "Nous étions sur cette terre bien avant que l’homme blanc ne vienne avec ses lois, déclare Oleg Omma, président de la communauté samie d’Ubmeje Tjeälddie. L’élevage de rennes repose sur la faculté de ces animaux à trouver eux-mêmes leurs pâturages. Ce qui demande beaucoup de surface." En première instance, en 2006, puis en cour d’appel, en 2007, les Samis ont gagné. C’était la première fois. Les autres procès, tous perdus par les bergers, ont mis en grande difficulté financière cette population d’à peine 20000 personnes -dont 3 000 vivent de l’élevage de rennes.
- Un éleveur sami
En 2010, la Cour européenne de justice avait déjà reproché à la Suède la longueur de ces procès. Dans un rapport remis à la mi-janvier 2011, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, James Anaya, a aussi critiqué la Suède. "Les Samis ne devraient pas avoir besoin de prouver et de défendre leur propre droit coutumier", a-t-il estimé. Il a proposé qu’ils reçoivent une aide juridique lorsqu’ils sont traduits en justice. Dans le cas de Nordmaling, les Samis ont pu prouver qu’ils fréquentaient ces terres de longue date. Pour cela, ils se sont fait aider par des historiens. "J’ai suivi la trace d’une famille samie sur sept générations, raconte ainsi Peter Ericson, un chercheur local. Je peux montrer que l’élevage de rennes s’est pratiqué dans cette zone depuis les années 1750." Quelle que soit l’issue du procès, il fera jurisprudence. Dans certains des procès qui se sont déroulés ailleurs en Suède, les protagonistes ont parfois fait témoigner des archéologues. Objet de ces discussions aux relents parfois racistes : tenter de déterminer qui, des Suédois ou des Samis, avaient les premiers peuplé telle ou telle région du pays.
Olivier TRUC
- Territoire des Samis